Un siècle après avoir enchanté la cour des Romanov, l’Œuf d’Hiver de Fabergé, chef-d’œuvre signé Alma Theresia Pihl, s’apprête à ressurgir sous la lumière des enchères. Le 2 décembre 2025, Christie’s Londres proposera à la vente cette pièce légendaire, considérée comme l’une des plus poétiques et raffinées jamais sorties des ateliers impériaux de Saint-Pétersbourg.
Un cadeau impérial pour une impératrice

En 1913, à l’occasion du tricentenaire de la dynastie Romanov, le tsar Nicolas II commanda à la maison Fabergé un œuf d’une beauté glaciale destiné à sa mère, l’impératrice Maria Feodorovna. Le “Winter Egg” fut conçu pour incarner la magie fragile de l’hiver russe — ce moment suspendu où la nature semble figée avant la renaissance.
Son prix, 24 600 roubles, en fit l’un des œufs impériaux les plus coûteux jamais réalisés. Mais c’est surtout sa conception, tout entière dédiée à la lumière, qui le distingue : un poème minéral où chaque détail traduit la perfection du geste et l’intelligence de la matière.
L’architecture du givre

Réalisé en cristal de roche, platine et diamants taillés en rose, l’Œuf d’Hiver évoque les premiers givrages d’une vitre au petit matin. On pense qu’il aurait pu être inspiré par l’hiver le plus rigoureux qu’il y ait eu en Russie en 1911-1912, le plus froid en 25 ans (-35°C à St Pétersbourg).
Sa surface translucide est gravée de motifs de givre, ponctuée de cristaux étincelants. La base de cristal imite un bloc de glace en train de fondre, où les sertissages de platine se déploient comme des ruisseaux figés.
À l’intérieur, se cache une corbeille en platine et diamants remplie d’anémones sculptées en quartz blanc, leurs feuilles en néphrite et leurs pistils en grenat démantoïde.
Au total, l’ensemble renferme plus de 3 200 diamants — mais l’essentiel réside ailleurs : dans cette alchimie entre froid et floraison, où l’hiver devient promesse de vie.
Alma Pihl, la femme derrière le miracle

L’âme du “Winter Egg” porte un nom que l’histoire a longtemps tenu dans l’ombre : Alma Theresia Pihl.
Née en 1888 dans une dynastie d’orfèvres finlandais, fille de Knut Oscar Pihl et de Fanny Florentina Holmström, Alma grandit dans un univers d’art et de minutie. Son oncle, Albert Holmström, dirigeait alors l’un des principaux ateliers de la maison Fabergé à Saint-Pétersbourg.
C’est auprès de lui qu’elle fit ses débuts :
« Alma Pihl commença à travailler avec son oncle, dessinant des ornements pour les archives du département de design », écrit Tatiana Fabergé dans Fabergé: A Comprehensive Reference Book.
Elle imagine des bijoux comme des paysages d’hiver : délicats, silencieux, lumineux. Ses créations: la broche Snowflake, l’œuf Mosaic, ou encore les pendentifs “Frost”, témoignent d’une fascination pour les cristaux, la lumière et les rythmes de la nature.

La famille d’Alma Theresia Pihl-Klee à Helsinki dans les années 1940. Sur le mur, on aperçoit le tapis qui lui a inspiré l’idée de l’« Œuf en mosaïque ».
On raconte qu’elle trouvait son inspiration en observant, chaque matin, les motifs de glace sur la fenêtre de son atelier. Ces dessins éphémères devenaient sous son crayon des esquisses, puis des merveilles d’orfèvrerie.
Un destin entre exil et redécouverte
Après la Révolution de 1917, le “Winter Egg” fut confisqué par le gouvernement soviétique, avec les autres trésors de la cour.
Il passa ensuite entre plusieurs mains : un antiquaire londonien, des collectionneurs britanniques, avant de disparaître pendant près de vingt ans.
Lorsqu’il réapparut en 1994 lors d’une vente Christie’s à Genève, le monde de l’art retint son souffle. L’œuf atteignit alors 7,3 millions de francs suisses, un record absolu pour une œuvre de Fabergé.
En 2002, une nouvelle vente à New York porta le prix à 9,6 millions de dollars.
Aujourd’hui, il revient sur le marché pour la troisième fois, estimé à plus de 20 millions de livres sterling. Avec seulement neuf œufs impériaux encore en mains privées, cet événement est bien plus qu’une vente : c’est une réapparition, presque une résurrection.
L’héritage d’une visionnaire
Le “Winter Egg” incarne l’union parfaite entre la rigueur du nord et la grâce de la main féminine.
Alma Pihl, par son intuition et son sens de la lumière, a su cristalliser l’éphémère.
Dans ses œuvres, la nature n’est pas figée : elle respire, se transforme, renaît.

Broche Alma Theresia Pihl a conçu cette broche en platine, diamants, grenats démantoïdes, rubis, émeraudes, topazes, autres pierres précieuses et perles, délicatement sertis dans une monture en platine. Elle rappelle l’Œuf de Pâques impérial en mosaïque de 1914.
« Ses idées originales lui valurent bientôt d’être reconnue comme une véritable designer à part entière de l’équipe principale de Fabergé », écrivait encore Tatiana Fabergé.
L’Œuf d’Hiver, au-delà de son éclat, est une métaphore : celle d’un monde disparu, figé dans le cristal et la mémoire, mais ravivé par la beauté intemporelle d’une femme artiste.
Christie’s – Vente Fabergé, décembre 2025
Œuf impérial “Winter Egg” – Alma Theresia Pihl, Fabergé, 1913
Matériaux : cristal de roche, platine, diamants, quartz, néphrite, grenat démantoïde
Estimation : 20-25 millions de livres sterling (22-27 milions de Francs suisses)