Édouard Jud, l’orfèvre lausannois qui défie le temps

Edouard Jud assis à son établi
Installé à son compte à Lausanne depuis 1965, Édouard Jud vient de fêter ses 92 ans. Et à l’entendre, rien ne semble pouvoir le détourner de son établi. « Pourquoi est-ce que je continue à travailler ? Parce que j’aime ça ! » lance-t-il avec l’enthousiasme d’un enfant. Chez les Jud, la passion du métier ne date pas d’hier : la famille compte sept générations de bijoutiers, et son fils a également perpétué la tradition.
Joaillier et orfèvre de la vieille école, Édouard Jud appartient à cette lignée d’artisans qui refusent le compromis : tout est fait main, de la conception à la réalisation. À ses côtés, son épouse Béatrice, qu’il a épousée en 1960, veille depuis toujours au bon fonctionnement de l’atelier. Administration, comptabilité, communication : elle s’occupe de tout pour que son mari puisse créer en paix.
De Saint-Gall à la Tanzanie
Formé chez son père à Saint-Gall, puis auprès d’un ami de la famille, Édouard Jud quitte rapidement la Suisse pour une aventure inattendue. Son oncle, prêtre missionnaire, l’invite en Tanzanie pour restaurer des calices en or laissés à l’abandon. L’archevêque de Dar es Salaam, Mgr Edgar Maranta, lui confie alors plusieurs pièces précieuses. À Ndanda, près de Mtwara, dans l’abbaye des bénédictins missionnaires de Sainte-Odile, il installe un petit atelier improvisé avec des outils rapportés de chez son père. L’aventure africaine aurait pu durer, mais le décès de ce dernier, en 1956, le ramène en Suisse pour reprendre l’entreprise familiale.
Une carrière au service des grandes maisons

Oeuf de la Divine Comédie: Oeuf en or jaune 750 repousé et gravé. 3 parties: l’enfer, le purgatoire et le paradis. À l’intérieur en 3 dimensions une croix en or 750 sertie de saphirs et d’émeraudes. Inscrition en latin. H: 11 cm
Après une quinzaine d’années passées comme expert à Genève, Édouard Jud collabore avec les plus prestigieuses maisons de joaillerie, notamment Chopard. En 1964, il s’installe définitivement à son compte à Lausanne. Curieux de tout, il se perfectionne sans cesse : métaux précieux, pierres, travail technique de l’émail… rien ne lui échappe. Cette quête constante d’excellence l’amène, en 1989, à créer ses premiers œufs inspirés de Fabergé.
De 1998 à 2008, il sublime également les stylos des marques, entres autres, Caran d’Ache et Aurora. Sous ses doigts, les instruments d’écriture deviennent de véritables bijoux, ornés de métal ajouré, de pierres et d’émaux. En 2008, il crée des stylos destinés au CIO pour les jeux olympiques de Pékin.
Œufs, stylos et Art nouveau

Plume Aurora « 1919 »: créée pour commémorer la naissance de la marque Aurora en 1919, or blanc 750, 1919 diamants couleur naturelle et un diamant de 1ct (cabochon) taille ancienne.
Aujourd’hui encore, Édouard Jud réalise des pièces sur commande. Dans son arcade-atelier du 5, Cheneau-de-Bourg, ouverte en 2001, ses vitrines révèlent également des bijoux d’inspiration Art nouveau. « J’ai toujours été fasciné par Lalique », confie-t-il.
Il doit sa maîtrise de l’émail à une figure discrète mais essentielle : Andrée Peaudecerf, une Genevoise chez qui il apprend un savoir-faire alors en voie de disparition.
Un prix pour un héritage vivant

Oeuf flocons de neige: Oeuf en Palladium découpé, serti de 678 brillants d’un total de 10 ct. H: 10 cm
La Fondation Igor Carl Fabergé lui a décerné son Prix International 2025, saluant un artisan capable d’incarner à lui seul les techniques et les matériaux des ateliers de Carl Fabergé. Ses créations (en particulier sa collection d’œufs) mobilisent une palette complète de métaux (or, argent, palladium), de pierres précieuses (diamants, rubis, émeraudes, opales, saphirs, turquoises) et de savoir-faire rares, comme l’émail champlevé ou le plique-à-jour.
À 92 ans, Édouard Jud reste un créateur infatigable, l’un des derniers témoins d’une tradition dont il continue, jour après jour, à faire vivre l’excellence.